|
|
Water Music (Musique sur l’eau) fut longtemps l’oeuvre instrumentale la plus populaire de Haendel, mais nous n’en possédons ni manuscrit autographe, ni première édition, authentique et sanctionnée par le compositeur. L’anecdote se rapportant à la composition d’un ouvrage de ce nom est dans toutes les mémoires. Haendel, directeur de la musique de l’électeur de Hanovre, avait en 1712 obtenu de ce dernier la permission de se rendre en Angleterre, à condition de ne pas y rester trop longtemps. Or Haendel était toujours à Londres en 1714, au moment où l’électeur devint le roi George Ier d’Angleterre. Selon John Mainwaring, auteur des « Mémoires sur la vie de feu Georg Friedrich Haendel » (1760), le compositeur aurait évité tout contact avec le nouveau souverain jusqu’au 22 août 1715, jour où à l’occasion d’une procession royale sur la Tamise, il aurait fait exécuter une oeuvre nouvelle, s’arrangeant pour que le roi ne pût manquer d’en être ravi : d’où pardon immédiat. Il s’agit (partiellement en tout cas) d’une légende. Le 26 septembre 1714, six jours seulement après avoir débarqué à Greenwich, le roi entendit un Te Deum de Haendel, et la même année, il honora de sa présence une représentation de son opéra Rinaldo. Si Haendel était en disgrâce, sa musique ne l’était pas. Quant à la seule promenade royale sur l’eau avec musique de Haendel dont nous ayons trace, elle n’eut lieu que le 17 juillet 1717. On possède à ce sujet trois témoignages contemporains. Les deux premiers proviennent de journaux anglais. The Political State of Great Britain de 1717 rapporte que « le mercredi 17 juillet, dans la soirée, le roi … se rendit par eau jusqu’à Chelsea, avec pour le distraire une excellente musique organisée par le comte Kilmanseck … À trois heures du matin, il revint par eau jusqu’à Whitehall, et de là au palais de St James ». Le Daily Courant du 19 juillet précise notamment que « la Musique, composée de 50 instruments de toutes sortes, joua pendant tout le trajet de Lambeth … à Chelsea des Symphonies parmi les plus belles qu’on puisse imaginer, écrites spécialement pour l’occasion par M. Haendel, et que sa Majesté apprécia tant qu’Elle les fit exécuter trois fois pendant l’aller et retour ». Le troisième témoignage, le plus long et le plus intéressant, est un rapport de l’ambassadeur de Prusse à Londres, Friedrich Bonet. On y apprend que le baron Kilmanseck (Johann Adolf, baron von Kilmansegg), qui avait déjà protégé Haendel à Hanovre, organisa les festivités du 17 juillet 1717 à ses propres frais, et que les musiciens à eux seuls lui coûtèrent 150 livres. Le rapport de Bonet donne également la composition de l’orchestre (trompettes, cors, hautbois, bassons, flûtes traversières, flûtes à bec, violons et basses, sans chanteurs), et ajoute que la musique était du « célèbre Haendel », natif de Halle et principal compositeur de cour de sa Majesté. On ne sait si furent entendus le 17 juillet 1717 1’ensemble des morceaux réunis actuellement sous le titre de Water Music, ou seulement certains d’entre eux. Une autre promenade royale sur la Tamise eut lieu le 26 avril 1736, veille du mariage du prince de Galles (le roi était alors George II), mais si l’on joua de la musique de Haendel, et que ce fut un extrait de ce que nous appelons Water Music, cet extrait ne fut certainement pas composé à cette date. Selon la disposition adoptée, les morceaux sont au nombre de vingt à vingt-deux, et répartis en trois suites instrumentées différemment : suite en fa pour 2 hautbois, basson, 2 cors, cordes et basse, suite en ré pour 2 hautbois, basson, 2 trompettes, 2 cors, cordes et basse, suite en sol pour flûte à bec, flûte traversière, cordes et basse. Il ne saurait être question de rattacher respectivement ces trois suites aux années 1715, 1717 et 1736, et le plus probable est qu’elles se situent toutes les trois en 1717. On peut supposer que celles en fa et en ré, dominées l’une par les cors et l’autre par les trompettes, retentirent sur l’eau, c’est-à-dire en plein air, et que celle en sol, plus intime, fut entendue lors du souper offert au roi à Chelsea dans la résidence de lord Ranelagh. Quant à l’ordre des morceaux au sein de chaque suite, il reste tout à fait conjectural. Les Menuets parurent en 1729 dans un recueil intitulé A General Collection of Minuets . La première édition de la « célèbre Water Musick », parue chez Walsh vers 1732-1733, ne comprenait qu’une dizaine de morceaux, soit environ la moitié, mais puisait dans chacune des trois suites. D’autres éditions suivirent rapidement, ainsi que de multiples arrangements pour les combinaisons les plus diverses (dont vers 1760 une réduction pour clavecin). La première édition d’ensemble sous forme de partition d’orchestre fut celle de Samuel Arnold (1788). Jusqu’au milieu du XXe siècle, on entendit surtout Water Music dans les arrangements et réorchestrations de Sir Hamilton Harty. Depuis, la musicologie a permis d’une part de bien distinguer les trois suites, et d’autre part de retrouver l’orchestration originale. L’ordre des morceaux n’est pas fixé pour autant, et il est tout à fait licite de faire s’interpénétrer les trois suites. Jordi Savall a pour sa part disposé l’ensemble en deux suites, l’une centrée sur celles en ré et en sol, l’autre sur celle en fa. On ne peut de toute façon qu’admirer à quel point Haendel, dans Water Music, se révèle musicien international : solides bases germaniques, formation italienne, assimilation du goût français et de la tradition anglaise. Le prétexte de la Music for the Royal Fireworks (Musique pour le feu d’artifice royal) fut la paix d’Aix-la-Chapelle, qui en 1748 mit fin à la guerre de Succession d’Autriche. Cette guerre avait opposé, entre autres, l’Angleterre et l’Autriche à la France et à la Prusse. Le roi George II, qui personnellement n’était pas un foudre de guerre, ordonna de célébrer l’événement par de grandes festivités couronnées par un immense feu d’artifice, ce dernier sur une immense « machine » de bois construite dans Hyde Park par Giovanni Niccolò Servandoni. Cette machine de 410 pieds de long et de 114 pieds de haut fut terminée le 26 avril 1749, veille du jour prévu pour le feu d’artifice. La musique avait été commandée à Haendel, et pour les musiciens, on construisit une galerie surélevée, au-dessus d’une statue de la Paix entourée d’une statue de Neptune et de Mars ainsi que d’un bas-relief représentant George II offrant la paix à Britannia. Le tout était surplombé d’un soleil qui, la nuit de la célébration, s’enflamma au lieu de s’allumer, éclairant Hyde Park (Green Park) comme en plein jour. George II ne désirait que des instruments à caractère militaire, alors que Haendel envisageait un ouvrage pour cordes et vents. Le compositeur ne s’inclina qu’au dernier moment. Le 21 avril, il donna à Vauxhal Gardens une répétition générale publique avec un orchestre de vents et de timbales (et peut-être des cordes) comprenant, selon les journaux, cent musiciens. Douze mille personnes y assistèrent, et sur le fameux pont de Londres, la circulation fut bloquée pendant trois heures. Cette foule n’était accourue que pour Haendel, étant donné qu’il n’y avait ce jour-là ni feu d’artifice, ni construction de bois, ni statues allégoriques ou non. L’autographe de Haendel indique 24 hautbois, 12 bassons, 9 trompettes, 9 cors, 3 paires de timbales, un contrebasson et un serpent, mais il est possible que le 27 avril 1749, il ait eu sous sa direction un ensemble encore plus fourni. La cérémonie fut parsemée d’incidents, et seule la musique de Haendel la sauva du désastre. Durant l’incendie, Servandoni tira son épée contre un fonctionnaire royal. Il fut désarmé, et passa la nuit en prison. Un mois plus tard, le 27 mai, Haendel fit entendre la Music for the Royal Fireworks au bénéfice du Foundling Hospital (Hôpital des enfants trouvés) de Londres, et on sait qu’à cette occasion, il revint à sa conception originale avec cordes. Il y a cinq parties : une Ouverture (dont il existe d’autres versions, en toute vraisemblance plus tardives), puis une Bourrée, une Sicilienne intitulée « la Paix » (avec parties de cor virtuoses), un morceau intitulé « la Réjouissance » et destiné a être joué trois fois (par trompettes, bois et cordes, par cors et bois, puis par tous les effectifs), et enfin deux Menuets (Le Menuet I étant repris après le Menuet II). MARC VIGNAL |
|
ENGLISH VERSION For a long time Handel’s Water Music was his most popular instrumental work, but we possess neither the autograph manuscript nor an authentic first edition approved by the composer. The anecdote about the composition of the work is now well known. In 1712, Handel, who was Kapellmeister to the Elector of Hanover, had obtained permission from the latter to go to England, “on condition that he engaged to return within a reasonable time”. But Handel was still in London in 1714, when the Elector became King George I of England. According to John Mainwaring, the author of “Memoirs of the Life of the Late George Frederic Handel” (1760), the composer avoided all contact with the new sovereign until 22nd August 1715, when he had a new work executed during a royal procession on the Thames; it so captivated the king that he immediately pardoned him. This story is attractive but unsubstantial. On 25th September 1714, just six days after landing at Greenwich, a Te Deum by Handel was given in the king’s presence and the same year he also attended a performance of Handel’s opera Rinaldo. If Handel was in disgrace, his music was not. And the only royal excursion on the river with music by Handel that we know of did not take place until 17th July 1717. There are three contemporary accounts of this event. The first two appeared in English newspapers. The Political State of Great Britain of 1717 reports that, on the evening of Wednesday 17th July, the king sailed to Chelsea “with excellent Musick organized by Baron Kilmanseck for his entertainment”; at three o’clock in the morning, he sailed back to Whitehall, and from there went on to St James’s palace. The Daily Courant for 19th July speaks of “the Musick, in which fifty instruments of all kinds played, throughout the journey from Lambeth the most agreeable symphonies composed especially for the occasion by Mr Handel. They pleased His Majesty so much that they were played three times, going and coming.” The third account, which is the longest and most interesting, is a report sent by the Prussian ambassador to London, Friedrich Bonet, to his sovereign. We learn that Baron Kilmanseck (Johann Adolf, Baron von Kielmansegg), who had been Handel’s protector in Hanover, organized the festivities of 17th July 1717 at his own expense, and that the concert cost him “a hundred and fifty pounds for the musicians alone”. Bonet’s account also gives the composition of the orchestra (“trumpets, horns, bassoons, oboes, German flutes, French flutes, violins and basses, but there were no singers”), and adds that the music had been specially written “by the famous Handel, a native of Halle and His Majesty’s principal court composer”. We do not know whether the whole set of movements now brought together under the title of Water Music was heard on 17th July 1717, or just some of them. Another royal outing on the Thames took place on 26th April 1736, on the eve of the wedding of the Prince of Wales (the king being then George II), but if music by Handel was played, and it was an extract from what we call the Water Music, that extract was certainly not composed at that date. According to the arrangement adopted, there are twenty to twenty-two movements, forming three suites composed for different groups of instruments: suite in F for two oboes, bassoon, two horns, strings and basso continuo; suite in D for two oboes, bassoon, two trumpets, two horns, strings and basso continuo; suite in G for recorder, flute, strings and basso continuo. There is no question of relating these three suites respectively to the years 1715, 1717 and 1736; the most likely possibility is that all three date from the year 1717. We may assume that the F major and D major suites – the one dominated by horns and the other by trumpets – were played on the water, since they indeed have the sound of “open-air” music, and that the one in G, which is more intimate, was performed during the supper held in honour of the king at Lord Ranelagh’s villa on the river at Chelsea. As for the order of the movements within each suite, it is still purely a matter of conjecture. The Minuets were published in 1729 in a book entitled A general Collection of Minuets. The first edition of the “famous Water Musick”, published by Walsh round about 1732-1733, comprised only ten or so movements (i.e., approximately half the total number), drawn from each of the three suites. Other editions soon followed, as well as numerous arrangements for a wide variety of instruments (including a harpsichord reduction in about 1760). The first full edition in the form of an orchestral score was that of Samuel Arnold (1788). Until the mid-20th century, the Water Music was heard particularly in modern arrangements and orchestrations by Sir Hamilton Harty. Since then, musicologists have managed, on the one hand, to distinguish the three suites, and, on the other, to rediscover the original orchestration. Nevertheless, the order of the movements is still uncertain, and it is quite licit to make the three suites overlap. Jordi Savall has arranged the movements in two suites, the one focussed on those in D and G, the other on the one in F. We can but admire Handel’s qualities as a cosmopolitan, eclectic artist in the Water Music, drawing impartially on German, Italian, French and English traditions. The Music for the Royal Fireworks was written in 1748 to celebrate the signing of the peace treaty at Aix-la-Chapelle, which brought the War of the Austrian Succession to an end. In this war between Austria and Prussia, Britain supported Austria, and France and Spain were allied to Prussia. King George II, who was not exactly an outstanding leader in war, commanded that the event be celebrated with great festivities, crowned by an immense firework display, the latter being set up on a huge wooden structure (known as the “Machine”) erected in Green Park by the theatrical designer Giovanni Niccolò Servandoni. This structure, 410 feet long and 114 feet high, was completed on 26th April 1749, on the eve of the day the display was to take place. Handel had been commissioned to compose the music, and a raised gallery was built for the musicians, above a statue of Peace surrounded by a statue of Neptune and Mars and a low relief showing George II offering peace to Britannia. Suspended above all this was a sun, which caught fire on the night of the celebration, illuminating Green Park as if it was in broad daylight. George II wanted only “martial music” without “fiddles”, whereas Handel had in mind a work for strings and wind instruments. The composer did not give in until the last moment. On 21st April, he gave a public rehearsal in Vauxhall Gardens, with an orchestra composed of wind instruments, kettledrums (and perhaps strings); according to the newspapers, there were a hundred musicians. Twelve thousand people attended, bringing traffic on London Bridge to a standstill for three hours. The crowds had flocked there for Handel, for there were no fireworks, no wooden structures and no statues, allegorical or otherwise, on the day of the rehearsal. The autograph manuscript indicates 24 oboes, 12 bassoons, 9 trumpets, 9 horns, 3 pairs of kettledrums, a double bassoon and a serpent, but it is possible that on 27th April 1749 Handel conducted an even larger ensemble. The ceremony was fraught with incidents, the fireworks went awry, and only Handel’s music saved the occasion from complete disaster. During the resulting fire, Servandoni drew his sword on a royal official; he was disarmed and spent the night in prison. A month later, on 27th May, Handel conducted a special concert for the benefit of the Foundling Hospital in London; the programme included the Music for the Royal Fireworks and we know that on that occasion he returned to his original idea, with string parts. The work is in five movements: an Overture (other versions – in all probability later compositions ¬ exist), followed by a Bourrée, a Sicilienne entitled La Paix (with virtuoso horn parts), a piece entitled La Rejouissance, intended to be played three times (by trumpets, woodwind and strings, by horns and woodwind, and then by all the instruments together), and finally two Minuets (Minuet I being repeated after Minuet II).
MARC VIGNAL
| |
|
|
|
|
Cliquez l'un ou l'autre
bouton pour découvrir bien d'autres critiques de CD |