Texte paru dans: / Appeared in:
*
  
Classica # 132 (05/2011)
Pour s'abonner / Subscription information

Soli Deo Gloria
SDG712



Code-barres / Barcode:
0843183071227

Consultez toutes les évaluations recensées pour ce cd ~~~~ Reach all the evaluations located for this CD

Appréciation d'ensemble / Overall evaluation :
Analyste: Philippe Venturini
 

Cette « Passion » a la vigueur des grandes compositions de Tintoret ou de Rembrandt

Il y a vingt-cinq ans, on découvrit une Passion selon saint Jean singulièrement sombre et violente. John Eliot Gardiner (Archiv Produktion, 1986) osait un langage plus direct et moins fleuri que ses homologues flamands. Une telle intensité trou Ma. On lui prêta même une sensibilité et une théâtralité hors de propos le drame universel se banalisait en une simple tragédie humaine. Presque vingt ans plus tard, Gardiner récidive, la terreur et la douleur autrefois dévoilées apparaissent au grand jour. Si la conception n’a pas fondamentalement changé, le geste s’est affirmé et les contrastes se sont creusés. C’est qu’entre-temps, les English Baroque Soloists et le Monteverdi Choir ont vécu une année de pèlerinage Bach qui a consolidé leur foi en la musique du compositeur Une nouvelle distribution vocale, privée de contre-ténors et marquée par un autre évangéliste, gomme les menues afféteries de la précédente version et souligne l’orientation de la présente vers une lecture dynamique, grave et pénétrante. Aussi ne faut-il pas s’étonner d’entendre dans le choeur introductif qui « semble tout balayer devant lui » comme l’écrit Gardiner dans son texte d’accompagnement, la majesté de Jésus, puissant comme un Christ pantocrator byzantin, mais aussi son martyre à venir (les frottements des bois). Même à l’opéra, il semble difficile d’imaginer un lever de rideau plus magistral, un coup de théâtre plus estomaquant, un appel plus mobilisateur.

Dès lors, Gardiner ne desserre plus son étau et contraint l’auditeur à le suivre sur ce chemin de croix. La compréhension de chaque mot, de chaque figure rhétorique, de chaque madrigalisme et la volonté d’en faire comprendre le sens, maintes fois constaté dans la série des cantates captée en 2000, régissent cette interprétation. Elles permettent de trouver le tempo et le ton justes de chaque air. Les chanteurs font valoir leur art dans un cadre si intelligemment agencé : la lumineuse intervention de Joanne Lunn («  Ich folge dir gleichfalls », 9), le douloureux « Zeifliebe, mein Herz » (35) de Katharine Fuge ou l’ambigu « Es ist vollbracht » (la fin est le commencement, 30) de Bernarda Fink. Hanno Müller-Brachmann prête à Jésus la parole noble et la voix posée, presque détachée, de celui qui sait. Toujours sur le qui-vive, inquiet ou confiant, l’évangéliste de Mark Padmore est bien ce «Jean témoin oculaire de l’histoire de la Passion » que réclame Gardiner un narrateur convaincu comme en témoignent le chromatisme noueux de « weinete bitterlich » («  pleura amèrement », d’après le reniement de Pierre, 12c), la rudesse de la scène de la flagellation (18c) ou le récit dans un climat glacé de la mort du Christ sur la croix (31). Personne ne sera surpris de la stupéfiante aisance du Monteverdi Choir capable de hurler les appels au meurtre du peuple (18), d’en faire entendre les ricanements ironiques devant « le roi des Juifs » (2lb, 27b) ou d’appeler à la méditation par des chorals d’une clarté polyphonique inouïe et d’une rare assurance. L’évolution de l’abattement à l’espoir dans le choeur et le choral conclusifs résulte d’une énergie capable de déplacer des montagnes.

La dernière « Écoute en aveugle » (Classica n° 111) consacrée à cette Passion selon saint Jean regrettait de ne pas pouvoir conseiller une version satisfaisante. Celle de Gardiner et de son équipe l’est.

Fermer la fenêtre/Close window

  

Cliquez l'un ou l'autre bouton pour découvrir bien d'autres critiques de CD
 Click either button for many other reviews