Texte paru dans: / Appeared in:
*


Diapason # 642 (01/2016)
Pour s'abonner / Subscription information


Alpha
ALPHA705




Code-barres / Barcode : 3760014197055

Appréciation d'ensemble:

Outil de traduction ~ (Très approximatif)
Translator tool (Very approximate)
 

Analyste: Gaëtan Naulleau

La fureur de dire

 

En 2014, John Eliot Gardiner fêtait à Versailles le jubilé du Monteverdi Choir avec la partition à l'affiche de leur tout premier concert, ces Vêpres de 1610 qu'ils n'ont jamais quittées bien longtemps.


Dieu soit loué, les caméras virtuoses qui dominaient la chapelle royale ne trahissent pas, aux premiers rangs de l'assistance, la clairière qui surplombe déjà le crâne de votre serviteur. Elles auraient également saisi son mouvement de tête sous l'attaque décoiffante du choeur. « Domine ad adiuvandum » : trente voix soudées comme un javelot clair répondent à la clameur viscérale, impérieuse, lente, du soliste juché en tribune, ce « Deus ad adiutorium » où Gardiner entend l'alter ego du muezzin exhortant la ville à la prière. Sa lecture des Vêpres ‑ les choix d'effectif, de tempos, couleurs, dynamiques, quasi inchangés au fil des  décennies ‑ est indissociable de l'impact physique du son qu'il a soudées comme littéralement inventé avec le Mon­teverdi Choir.

 

La lumière perçante du mot, qui investit le moindre interstice de l'architecture, semble jaillir sans effort, comme sur un violon ou un piano sublimement réglé. Les nombreux passages la caméra s'attarde sur Gardiner témoignent du contact intime entre le chef et les siens: si attentifs au moindre accent, si préparés, si réactifs, qu'il peut amplifier des gestes souples sans atténuer le détail. Certains effets de phrasés ou de dynamiques (ces decrescendos inouïs sur des accords tenus!) relèvent du maniérisme: mais d'un maniérisme porté par une telle nécessité intérieure, réalisé avec une telle évidence, organisé dans la grande forme avec un tel sens des points d'équilibres, qu'il se fond sans la structure.


Quels apports depuis l'enregistrement réalisé à San Marco en 1989 (CD et DVD Archiv) ? Un choeur encore plus agile, un splendide ténor polonais dans un Audi coelum éperdu ‑ il y a quelques semaines, Krystian Adam était l'Orfeo de Gardiner à Versailles. Et surtout, une prise de son impressionnante, qui restitue les jeux de perspectives chers à Gardiner de façon beaucoup plus nette qu'à travers l'encens épais de la basilique vénitienne.

Depuis1989, le regard des historiens aussi a changé. Ils ne voient plus le Vespro comme un ensemble de pièces destiné à être chanté dans son intégralité lors d'offices extraordinairement longs, mais comme un recueil (d'une profonde cohésion, certes) le maître de chapelle pouvait faire son marché lors des grandes fêtes. Mais accepterions-nous désormais d'entendre une partie seulement des psaumes ? Renoncerions‑nous aux joutes mystiques du Duo Seraphim ? Gardiner résout l'anachronisme par une lecture unifiée et construite au plus haut degré. Son Vespro est bien une oeuvre, un chemin, un monument, qui ne donne pas le vertige par ses dimensions mais par l'intarissable flux de la parole qui nous accueille et nous réunit.                           
 

Fermer la fenêtre/Close window

 

Cliquez l'un ou l'autre bouton pour découvrir bien d'autres critiques de CD
 Click either button for many other reviews