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Opéra Magazine # 128 (05/2017)

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Analyste: Michel Parouty

Persée 1770 : le titre peut surprendre, mais son explication est simple. Persée, «tragédie lyrique » de Jean‑Baptiste Lully, sur un livret de Philippe Quinault, fut donnée le 17 avril 1682, à l'Académie Royale de Musique de Paris. Son succès perdura à travers de nombreuses reprises.

Dans l'esprit du compositeur, créer un opéra typiquement français était un acte artistique, mais aussi politique ‑ ce que souligne avec raison Benoît Dratwicki, dans le texte d'introduction de cet enregistrement, réalisé à Versailles, les 15 et 16 avril 2016, avec la participation du CMBV. Il ne s'agissait pas moins que de glorifier le souverain régnant ‑ Louis XIV, en l'occurrence ‑, vantant les hauts faits et les vertus d'un héros légendaire.


Spectacle total, unissant musique, chant, danse, poésie et arts plastiques, ce divertissement se devait d'être un éblouissement pour les yeux, son luxe renforçant son pouvoir de persuasion.

Le renouveau de la musique baroque, dès le début des années 1960, entraîna une vague de purisme esthétique ‑ il est vrai que ce répertoire revenait de loin ! Nos aïeux, en revanche, étaient moins scrupuleux et ne se privaient pas de revisiter les grandes oeuvres du passé pour les adapter au goût de leurs contemporains.

Pour en revenir à  Persée, Louis XV s'apprête, en 1770, à fêter les noces du dauphin, son petit‑fils, futur Louis XVI, avec l'archiduchesse Marie‑Antoinette d'Autriche. La soirée doit aussi marquer l'inauguration de l'Opéra Royal de Versailles, ce joyau que l'on peut toujours admirer, qui offre des dimensions et des possibilités techniques inconnues jusqu'alors en Europe.

Persée a les honneurs de l'affiche, mais revu et corrigé, sous une forme que ses « pères» auraient de la peine à reconnaître. Le livret est modifié par Nicolas‑René Joliveau, la musique revisitée par Bernard de Bury, Antoine Dauvergne, François Rebel, les noms de ces deux derniers ayant marqué, à leur manière, l'histoire musicale de leur siècle.

Les remaniements concernent d'abord la structure : plus de Prologue, et quatre actes seulement (les actes IV et V étant condensés en un seul). Une rapidité d'action qui dessert, indubitablement, le merveilleux. L’effectif orchestral, ensuite, n'est plus le même, la nouvelle fosse pouvant abriter quatre‑vingt instrumentistes. Les sonorités sont donc enrichies, du côté des vents notamment, clarinettes et cors côtoyant désormais flûtes et bassons. Quant aux récitatifs soutenus par le clavecin seul, jugés démodés, ils sont revêtus, lorsqu'ils sont conservés, d'un tissu plus voyant.

Certaines pages de l'original sont préservées ‑ fort heureusement, l'émouvant duo Persée/Andromède « Belle princesse, enfin vous souffrez ma présence !» ‑, et de nouvelles sont ajoutées: danses (Dauvergne)... sans oublier ces deux interventions finales de Vénus (« Hymen, de ce beau jour consacre la mémoire ») et Persée (« Sur l'univers règne à jamais»), surchargées d'ornements jusqu'à saturation.

Un auditeur d'aujourd'hui trouvera sans doute cet élargissement incongru et massif, loin de ce qu'il imagine du XVIIIe siècle. En 1770, Rameau est mort depuis six ans et, avec lui, un modèle d'art français. Trois ans après cette «recréation», Gluck, parti à la conquête de Paris, s'efforcera d'ailleurs de donner au répertoire national un visage entièrement neuf. À partir de là, les tentatives de rajeunissement n'auront plus cours.

Pour redonner vie à ce Persée 1770, il fallait l'esprit d'aventure et la détermination d'Hervé Niquet. À ces quatre actes brefs et denses (chacun ne dépasse pas une demi‑heure), il apporte une indomptable énergie. La distribution, quant à elle, est relativement homogène : pas de problèmes de style, et une élocution soignée, chez les hommes surtout.

Chantal Santon‑Jeffery se tire avec les honneurs des vocalises de Vénus. La Mérope de Katherine Watson et la Méduse de Marie Kalinine ont parfois tendance à forcer le trait, privilégiant le sentiment sur le chant. La Cassiope de Marie Lenormand est moins marquante. Hélène Guilmette, en revanche, est une Andromède au charme discret, à la voix fruitée. Le niveau monte d'un cran avec l'équipe masculine, en tous points excellente, y compris le jeune Zachary Wilder dans l'emploi épisodique d'Euryale. Thomas Dolié donne à tous ses petits rôles un relief impressionnant ; le timbre est superbe, ample, généreux, la déclamation irréprochable. Jean Teitgen est un Céphée autoritaire, et Tassis Christoyannis, un Phinée qui se fait remarquer par son intelligence musicale, malgré une étendue vocale limitée.

Enfin, les amateurs de ténors seront à la fête en écoutant Cyrille Dubois (Mercure) et Mathias Vidal (Persée) : l'un, juvénile et lumineux, même s'il semble parfois atteindre ses limites dans l'aigu ; l'autre, toujours juste de ton et de sentiment, déployant avec aisance des phrasés inspirés. De fins musiciens, dont le duo à l'acte III est savoureux.

Défendue avec pugnacité, cette résurrection laissera sans doute pantois les amoureux de Lully. Elle a au moins le mérite d'en dire long sur les goûts et les coutumes d'une époque.

Pour entendre la version originale, il faut se tourner vers Christophe Rousset (Astrée) ; pour l’entendre et la voir, Hervé Niquet est sans rival (EuroArts). Le présent enregistrement demeure, on s’en doute, un ovni réservé aux curieux et aux amateurs de plaisirs pervers.
 

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