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ROMINA
BASSO CANTATE TRISTE
L'album de la mezzo‑soprano Romina Basso et l'ensemble
Latinitas nostra « Lamento » n'a pas fait pleurer pour les mêmes raisons la
Rédaction de « Classica ».
Bilan des lamentations...
POUR
  
Pierre Massé
Evidemment, ce n'est pas le
premier disque de « lamentos », ces déplorations baroques tirées ou non
d'ouvrages lyriques... Mais celui‑ci est à coup sûr l'un des plus
intéressants, sinon le plus original. On y retrouve le « tube » de l'opéra
perdu de Monteverdi, le « Lamento d’Arianna », et quatre autres
signés Carissimi, Rossi, Strozzi et Provenzale. Comme il se doit, chacun met
en scène une femme abandonnée. Sont réunies des héroïnes mythologiques (Arianne,
Euterpe) ou des personnages historiques, teIIes Mary Stuart ou la reine de
Suède pleurant son époux Gustave Il Adolphe. Les pièces sont assez longues,
et, à la première écoute, elles se ressemblent. Toute la difficulté d'un tel
programme est donc de maintenir l'intérêt de l'auditeur, tout en parvenant à
différencier chaque pièce afin d'en établir le juste caractère, au plus
proche de la tragédie antique dont elle s'inspire.
Romina Basso et l'ensemble Latinitas nostra
ont pour cela fait le choix ‑ mais est‑ce vraiment un choix ou plutôt une
nécessité ? ‑ de l'engagement le plus total. « Nous avons enregistré dans
un état de tension insoutenable, nous efforçant de pousser jusqu'à la limite
tout facteur de trouble, tout effet », affirme le leader Markellos
Chryssicos dans son texte de présentation. Le résultat est en effet assez
sidérant : les timbres drus de Latinitas nostra, la voix fauve de Basso et
une prise de son sans artifice concourent à plonger I'auditeur dans un
véritable tourbillon de sentiments et d'affects. On ressort un peu
abasourdi. Une telle fureur a l'avantage d'éviter toute monotonie. C'est
extrême, mais, face à tant de disques trop tièdes, celui‑ci est à
distinguer.
CONTRE
Jérémie Blgorie
Lamenti
était le
titre de l'album paru
en 1998 (Archiv) d'Anne‑Sophie von Otter accompagnée par Reinhard Goebel.
S'y trouvait l'incontournable « Lasciatemi morire » d’Arianne extrait
de l'opéra de Monteverdi, seul point commun avec le présent récital de
Romina Basso et l'ensemble Latinitas nostra dont l'approche catharsistique
consiste en des procédés sonores expérimentaux qui épousent les sentiments
alternatifs de douceur, d'affliction et de colère. Aussi quand sont évoqués
les affrontements dans le Lamento de la Reine de Suède de Luigi
Rossi, l'entrechoquement des armes trouve‑t‑il un écho explicite dans
l'armurerie cinglante (clavecin rocailleux, théorbes et guitares baroques en
bourrasques sonores) à l'oeuvre dans l'instrumentarium ‑ pourtant réduit ‑
ici convoqué. Inévitable avec un tel degré de prises de risques, la
prestation de la mezzo‑soprano vénitienne Romina Basso bascule parfois dans
la grandiloquence : débit précipité, quarts de ton, madrigalismes surlignés
(« strida » !)... mais qu'attend‑t‑on pour apporter les sels ? Ces musiques
seraient‑elles si éloignées de notre sensibilité moderne qu'il faille à ce
point attiser les affects ? On aime en revanche son nuancier gradué, capable
de pianissimos sur le fil, ou sa manière d'altérer sa voix dans le «
Lagrime mie » de Barbara Strozzi, aux élans lyriques qui évoquent le
fado.
Dans un
court texte de présentation, Markellos Chryssicos, ancien assistant de
Georges Petrou dont on avait salué d'un « Choc » le pasticcio L'Olimpiade
(Naïve, cf. Classica no 143), relie l'expérience de son
interprétation à la mort d'un adolescent au cours de heurts violents entre
jeunes
et forces de l'ordre en 2009 à Athènes: cet élément contingent fait à la
fois toute la force et la limite de cet enregistrement... que « l'hilarante
parodie » de Francesco Provenzale ne saurait en aucun cas faire oublier.
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