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WUNDERKAMMERN (07/2015) 
(Blog de Jean-Christophe Pucek
qui n'est plus accessible sur la Toile)


Ambronay
AMY304




Code-barres / Barcode : 3760135103041

 

Analyste: Jean-Christophe Pucek
 

Un des axes d’effort majeurs du Centre culturel de rencontres d’Ambronay est de détecter des musiciens prometteurs afin de leur offrir une expérience de la scène dans le cadre d’un festival prestigieux et, pour les meilleurs d’entre eux, la possibilité d’enregistrer un premier disque dans le cadre de la collection « Jeunes Ensembles » du label maison. Avec sa jaquette aux faux airs de gourmandise acidulée, la première des deux réalisations actuellement annoncées pour le cru 2015 – la seconde sera une anthologie de sonates allemandes par Radio Antiqua à paraître à la mi-octobre – nous est parvenue il y a quelques semaines.

 

La première carte de visite que nous tend L’Aura Rilucente, un ensemble fondé à Milan il y a moins de cinq ans, porte une adresse sise sur les rives de la Tamise – une Tamise qui ressemblerait tout de même assez furieusement au Tibre – où nous allons croiser deux figures qui eurent partie liée dans le Londres des premières décennies du XVIIIe siècle, Georg Friedrich Händel et Nicola Francesco Haym. Je tiens à dissiper immédiatement tout malentendu, dont certains ne manqueront pas de faire sans vergogne des gorges chaudes, concernant le premier de ces deux compères ; si j’ai dénoncé et déplorerai encore son omniprésence dans les programmes de disques et de concerts au détriment de choix plus aventureux, force m’est de reconnaître que non seulement ce n’est pas la partie la plus rabâchée de sa production qui nous est proposée ici, mais aussi que son nom, auquel on a tout de même pris bien soin d’accorder la précellence sur la pochette, constitue le meilleur billet d’introduction pour son camarade moins favorisé par la postérité. D’ailleurs qui est donc ce Haym dont la consonance septentrionale du patronyme semble démentir l’accent méridional des prénoms ? Très probablement d’ascendance germanique, il fit ses premières armes musicales dans sa ville natale de Rome ; ses qualités de violoncelliste lui permirent d’être, entre autres, employé au sein du prestigieux orchestre du cardinal Pietro Ottoboni, dont le patron n’était autre que Corelli, et se voir commander par le prélat deux oratorios, en 1699 et 1700. Aux premiers jours du printemps de l’année suivante, le jeune homme débarquait à Londres en qualité de continuiste dans les bagages du violoniste Nicola Cosimi ; ce dernier avait été invité par le second duc de Bedford qui décida de retenir Haym auprès de lui pour en faire son maître de musique de chambre, Anonyme La scène du Queen's Theatredomaine dans lequel il produisit successivement deux recueils de sonates en trio (opus 1 en 1703, opus 2 en 1704) afin d’asseoir au plus vite sa réputation. Mais l’ambition de notre violoncelliste ne se bornait pas à demeurer confiné dans les salons, aussi luxueux fussent-ils ; les théâtres l’appelaient et il déploya une énergie considérable pour contribuer à installer l’opéra italien dans cette Angleterre où il semblait avoir trouvé, dès 1705, une terre d’élection. Tour à tour musicien d’orchestre, adaptateur, compositeur d’airs, ce sont finalement ses qualités de librettiste qui firent son succès. Un certain Händel ne s’y trompa pas, qui s’attacha ses services dès 1713 pour Teseo, une collaboration qui devait se poursuivre jusqu’à Tolomeo en 1728, un an avant la mort de Haym, et enfanter d’un certain nombre de chefs-d’œuvre parmi lesquels Giulio Cesare in Egitto ou Rodelinda, pour n’en citer que deux. L’Aura Rilucente a d’ailleurs choisi, pour compléter son programme, de proposer quatre arrangements instrumentaux, au demeurant fort réussis, d’airs extraits d’opéra dus à ce prolifique tandem, suivant une pratique courante à l’époque qui permettait aux succès lyriques de s’inviter jusque chez les amateurs. L’essentiel de cet enregistrement est cependant constitué de cinq sonates en trio qui toutes suivent le modèle da chiesa corellien canonique en quatre mouvements (lent/vif/lent/vif). Celles de Haym, par leur proximité d’esprit avec leur modèle, témoignent de la profonde impression que fit sans nul doute Corelli sur le jeune musicien qui, rappelons-le, eut la chance de jouer à Rome sous sa direction ; on y retrouve la même recherche d’une expression modérée des passions, un certain penchant pour l’équilibre des lignes et la gravité du ton mais également une douceur que la fermeté du trait prévient cependant de tomber dans la fadeur. Avec Händel, c’est, si l’on ose dire, une toute autre musique, tant en termes de rebond rythmique que de couleur ; certes, le Saxon se coule dans un cadre formel bien défini, mais son imagination ne cesse de le déborder de toutes parts en laissant librement cours aux émotions qui le traversent, qu’elles soient joyeuses, songeuses, dansantes ou lyriques.

 

L’Aura Rilucente ne manque pas d’atouts pour animer ce kaléidoscope d’affects qui, brièveté de chaque mouvement oblige, composent des scènes toujours changeantes. Si les sonorités sont parfois encore un peu vertes, si quelques scories d’intonation ou de mise en place bien pardonnables rappellent que nous sommes ici en présence d’un premier enregistrement, le sens de la construction du discours est déjà bel et bien là, tout comme une indéniable autorité et la capacité à s’imprégner des particularités stylistiques de chaque compositeur ; nos musiciens ne jouent pas Haym et Händel exactement de la même façon – le premier sonne de façon plus solennelle, le second plus sensuelle – et créent ainsi une fort agréable variété de climats. L'Aura RilucenteTrès sollicités, les violons de Heriberto Delgado Gutiérrez et Sara Bagnati tiennent naturellement le haut de l’affiche et savent nous aguicher en déployant force entrain et piquant, mais Silvia Serrano Monesterolo au violoncelle et Jorge López-Escribano aux clavecin et positif s’y entendent tout autant pour leur donner avec une égale conviction soutien et réplique, ce continuo étant agrémenté d’une harpe, un choix relativement rare mais ici fort à propos grâce à la finesse du jeu de Maximilian Ehrhardt qui ne nous fait à aucun moment regretter l’habituel théorbe. On apprécie également beaucoup la capacité qu’ont les cinq compères à établir des dialogues très vivants entre leur pupitres et à sonner vraiment comme un collectif et non un groupe d’individualités juxtaposées.

 

Voici donc une bien jolie carte de visite, d’autant plus appréciable qu’elle est moins convenue que certaines autres et bénéficie d’une captation soignée — on remercie au passage les Éditions Ambronay d’avoir fait appel aux compétences de Christoph Martin Frommen, ce qui devrait nous éviter, si cette collaboration se poursuit, certaines prises de son médiocres qui ont, par le passé, parfois terni l’image du label. Elle nous permet de découvrir en L’Aura Rilucente un ensemble qui possède déjà quelques beaux atouts, qui ne se résument heureusement pas à sa fraîcheur, pour faire son chemin sur la scène baroque et dont on suivra l’évolution avec intérêt.

 

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