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WUNDERKAMMERN (01/2018) 
(Blog de Jean-Christophe Pucek
qui n'est plus accessible sur la Toile)


Aparté
AP163



Code-barres / Barcode : 3149028128222

 

Analyste: Jean-Christophe Pucek
 

Parmi les choses dont on peut être reconnaissant à Christophe Rousset, le fait de ne jamais s’être laissé griser par son métier de chef d’orchestre au point d’en oublier « son » instrument, le clavecin, n’est pas la moindre. Cet attachement nous vaut régulièrement des enregistrements qui explorent soit des piliers du répertoire – je pense à ses récents et toujours intéressants disques Bach (aura-t-il un jour l’excellente idée de remettre les Goldberg sur le métier ?) –, soit la musique française, principalement du XVIIIe siècle. Après un très remarqué détour par Duphly en 2012, il était somme toute assez logique que son chemin le conduise à Balbastre, en attendant peut-être un jour de s’arrêter à Armand-Louis Couperin.

 

Avant toute chose, une précision qui pourra paraître inutile à certains, mais qui m’importe : pas plus que Chardin ne se prénommait Jean-Baptiste-Siméon, notre compositeur, contrairement à ce que mentionnent pochette et texte de présentation du disque, n’avait pour prénom Claude-Bénigne ; la vérification effectuée dans les registres paroissiaux de Saint-Michel de Dijon montre que son acte de baptême indique simplement « Claude, fils de Bénigne Balbastre, organiste, et de Marie Millot, son épouse, né le 8 décembre 1724. » Une famille musicienne, donc, qui confia l’éducation du jeune garçon à un autre Claude, Rameau, frère de Jean-Philippe, ce dernier facilitant grandement l’intégration du jeune homme dans la meilleure société parisienne lorsqu’il vint s’installer dans la capitale en 1750. Il s’y fit rapidement une place grâce à ses solides talents d’organiste, si remarquables que l’archevêque de Paris dut, en 1762, lui interdire de jouer ses Noëls qui attiraient en masse des auditeurs oubliant d’adopter le comportement qui sied à l’église, qu’il exerça au Concert Spirituel, puis aux tribunes de Saint-Roch (1756) et de Notre-Dame (1760). Ses capacités finirent par lui ouvrir les portes de la cour ; on le retrouve ainsi au service de Monsieur pour l’orgue et de Marie-Antoinette pour le clavecin. La Révolution, si elle lui laissa la vie sauve, précarisa nettement sa situation et il mourut désargenté et oublié rue d’Argenteuil, le 9 mai 1799.

Dans son introduction à l’enregistrement, Christophe Rousset, parfois peu tendre, non sans quelque raison, envers la minceur de l’inspiration de Balbastre, montre bien à quel point son Premier Livre de pièces de clavecin (il n’y en aura pas d’autre), tout en s’appuyant sur la tradition représentée par François Couperin (perceptible, par exemple, dans La Castelmore), révèle sa sensibilité au langage de Rameau, parfois presque jusqu’à la ressemblance dans La Lamarck qui vient picorer dans l’enclos de certaine Poule mais également dans le traitement orchestral de l’instrument, et, plus largement, à celui de la musique italienne, avec sa virtuosité (La Bellaud) et le charme galant de ses airs (La Genty, La Monmartel ou La Brunoy) ; on sait par ailleurs que Balbastre connaissait les sonates de Domenico Scarlatti dont il copia certaines : des pièces comme La Lugéac ou La Laporte attestent de l’impact qu’eurent sur lui les inventions du maître de musique de Maria Barbara de Portugal. Christophe Rousset évoque à raison François Boucher pour caractériser le style somme toute assez Pompadour du Balbastre de la fin des années 1750 ; la galerie de portraits tendres ou piquants constituée par son unique recueil destiné au clavecin, par son mélange de séduction immédiate et le soin apporté à la caractérisation lorsqu’il s’agit d’aller au-delà de l’effet – ce qui n’est pas toujours le cas –, me fait néanmoins surtout songer à l’art du plus célèbre pastelliste français de ce milieu du XVIIIe siècle, Maurice Quentin Delatour, qui était au faîte de sa carrière lorsque Balbastre s’installa à Paris et, comme lui, connut une fin de vie obscure.

 

Le patron des Talens Lyriques est, comme on pouvait s’en douter, parfaitement à l’aise dans ces œuvres qui demandent une théâtralité savamment dosée pour ne tomber ni dans les grâces fanées d’Ancien Régime, ni dans la creuse effervescence mondaine. Avec une roborative vigueur et une subtilité sans préciosité, son approche pleine de brio, nourrie de son expérience de l’opéra et de sa connaissance intime du répertoire des clavecinistes français, donne à chaque phrase sa juste inflexion, à chaque ornement son exacte densité, soulignant sans surcharge chaque nuance du discours et ménageant toute leur place au chant et à l’expression. Rien n’est jamais trop poudré ou trop cursif dans cette interprétation où l’on sent d’où vient la musique, le présent dans lequel elle s’ancre et les perspectives qu’elle ouvre parfois dans ses meilleurs moments. La Sonate pour clavecin avec accompagnement de violon sur laquelle se referme le programme est un complément de choix où l’archet racé et à la souple assurance de Gilone Gaubert-Jacques forme un duo parfait avec le pétillement des sautereaux. J’invite les amoureux de Balbastre et de clavecin français à ne pas manquer ce disque généreux, brillant et raffiné dont un des moindres attraits n’est pas le superbe Goujon-Swanen expertement touché par Christophe Rousset et artistement capté par Ken Yoshida.

 

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