WUNDERKAMMERN
(02/2018)
(Blog de Jean-Christophe Pucek
qui n'est plus accessible sur la Toile)
Harmonia Mundi
HMM90225657
Code-barres / Barcode : 3149020933114
(ID627)
Analyste: Jean-Christophe Pucek
Avouons-le, on ne les attendait pas
vraiment ici, elle dont le cœur de répertoire demeure, malgré quelques
incursions au XVIIIe siècle à l’occasion d’une très belle intégrale des
concertos écrits par Mozart pour son instrument et de ce qui est sans doute une
des lectures récentes les plus convaincantes, sur cordes modernes, des Sonates
et Partitas du Cantor, le romantisme, et lui dont la réputation s’attache
surtout à la pratique du pianoforte dont il est aujourd’hui un des serviteurs
les plus recherchés, et pourtant les voici réunis sous les micros, sauf erreur
pour la première fois, lui touchant la copie d’un clavecin dresdois de Gräbner
l’Ancien de 1722, propriété de Trevor Pinnock dont quelque chose de l’élégance
naturelle plane d’ailleurs sur cet enregistrement, elle ayant troqué ses
habituels prestigieux Stradivarius (remontés au XIXe siècle) pour un authentique
Stainer de 1658, deux superbes montures de prêt comme pour signifier
discrètement à l’amateur un tant soit peu attentif que l’on a conscience de ne
pas appartenir encore pleinement à l’univers où l’on s’aventure.
Il faut un certain courage, y compris
de la part d’interprètes chevronnés, pour se risquer d’emblée dans ces trios que
sont en réalité les Sonates pour violon et clavecin de Johann Sebastian Bach,
œuvres à la genèse floue que l’on est sans doute fondé à rattacher à la période
de Köthen (1717-1723), si fertile en pages instrumentales puisque la cour,
calviniste, ne requérait pas ses talents pour l’office, ce qui n’empêchait
nullement le prince Léopold, son employeur, d’être un très fin connaisseur en
matière de musique (il avait été instruit par Heinichen et jouait du violon, de
la viole de gambe et du clavecin), mais que le compositeur ne cessa ensuite de
remanier, y compris durant les dernières années de sa vie. Terrain
d’expérimentation en matière d’écriture polyphonique et contrapuntique comme de
recherche expressive, mais également débordantes de vitalité, de charme
mélodique et de virtuosité, ces Sonates ressortissent à la fois au dehors et au
dedans, à l’étude et à l’estrade ; les cinq premières (BWV 1014 à 1018) forment
un bloc cohérent, ne serait-ce que par leur conformation à la structure da
chiesa (lent/vif/lent/vif) ; seule la dernière (BWV 1019) s’écarte assez
résolument de ce schéma strict, avec ses cinq parties (autant, donc, que de
sonates qui l’ont précédée — il y a peu de place pour le hasard chez Bach), son
premier mouvement Allegro de forme da capo et son ébouriffant troisième
(central, donc) pour clavecin seul. Surtout, chaque sonate possède sa couleur
propre, avec des alternances de caractère quelquefois si tranchées (par exemple
entre le sombre Adagio en ut dièse mineur et le vigoureux Allegro final en mi
majeur de BWV 1016) que l’on comprend sans peine qu’elles aient pu susciter
l’admiration et l’émulation de Carl Philipp Emanuel qui écrivait, en 1774,
qu’elles « sonn[aient] toujours très bien malgré leurs cinquante années
d’existence. »
Si l’on souhaite
définir d’un mot, forcément réducteur, la conception d’Isabelle Faust et de
Kristian Bezuidenhout (qui signe, au passage, un très intéressant texte dans le
livret rappelant à quel point l’idée et l’outil sont indéfectiblement liés, ce
qui remet, si besoin était, les exécutions de Bach au piano à leur place
périphérique), on la dira, du fait de son magnifique équilibre né d’une
conscience aiguë de l’architecture musicale et d’un impeccable sens de la ligne
et des proportions, classique. Il faudrait immédiatement ajouter hédoniste, tant
la recherche de plénitude sonore y est également évidente et soutenue par le
travail du tandem du studio Teldex, René Möller (prise de son) et Martin Sauer
(montage et direction artistique). Si on perçoit, au détour de quelques traits
et accents, qu’il fréquente de coutume un monde plus tardif, le violon
d’Isabelle Faust se montre ici souverain d’intonation, de souplesse et de
vélocité, avec un surcroît de chaleur qui surprendra ses détracteurs, tandis que
le clavecin de Kristian Bezuidenhout, à l’articulation extrêmement nette et aux
registrations savamment pensées et conduites, fait preuve d’une fantaisie
souvent pétillante dans les ornementations qu’on ne lui avait pas connue à ce
degré jusqu’ici. Ces deux fortes personnalités n’ont, en tout cas, eu a priori
aucun mal à s’accorder tant la qualité du dialogue qu’elles ont établi est
patente et source d’une intelligence et d’une dynamique au service des œuvres et
non des egos. Voici donc une interprétation qui tient les promesses suscitées
par sa prestigieuse affiche et que sa clarté, son absence d’emphase et de
brutalité, sa fluidité et la haute tenue de sa facture font conseiller comme une
version « de l’honnête Homme », parfaite pour une première approche. Elle
laissera sans doute sur leur faim, en revanche, ceux qui désirent une vision aux
angles plus vifs et à l’expressivité plus affirmée ; à ceux-ci, je ne saurais
trop recommander la lecture de Leila Schayegh et Jörg Halubek (Glossa) qui, à la
réécoute, n’a rien perdu de son acuité, bien au contraire.
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