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WUNDERKAMMERN (11/2018) 
(Blog de Jean-Christophe Pucek
qui n'est plus accessible sur la Toile)

 

Harmonia Mundi
HMM902337





Code-barres / Barcode : 3149020934463

 

Analyste: Jean-Christophe Pucek
 

Le XVIIIe siècle fut indiscutablement celui où le pittoresque, codifié, au moins pour sa partie picturale, en 1792 par William Gilpin mais dont la préoccupation était déjà sensible, certes avec une inféodation aux canons classiques encore marquée, dès 1715 dans les écrits de Jonathan Richardson, gagna graduellement toutes les formes d’expression artistique. En musique, le nom qui vient le plus spontanément à l’esprit pour illustrer cette tendance est sans doute celui de Georg Philipp Telemann, l’homme des concertos polonais et de l’Ouverture « Les Nations », mais d’autres ont également tenté de saisir dans leurs notes les détails les plus piquants relevés en se frottant à d’autres cultures.

 

À l’écart des circuits du tourisme naissant, la péninsule ibérique n’attirait pas moins quelques regards curieux, du fait, notamment, de la présence de musiciens de renom dans certaines de ses cours. La figure de Domenico Scarlatti, au service de João V à Lisbonne en 1719 puis, à partir de 1729, de sa fille Maria Barbara à Madrid fascina bien au-delà des frontières de ses deux pays de résidence et l’on n’a guère de mal à imaginer les cillements stupéfaits que purent provoquer en Angleterre, où ses œuvres pour clavecin étaient ardemment prisées, leurs imitations endiablées de guitare ou leurs étranges modulations issues du flamenco. Les douze Concerti grossi publiés par Charles Avison en 1744 attestent de cette fascination puisque leur matériau est directement issu – et naturellement revendiqué comme tel – des sonates de Scarlatti, fondu en un alliage anglicisé visant à en adoucir les aspérités les plus saillantes et coulé dans une forme alors très en vogue Outre-Manche car d’obédience corellienne assumée. Outre le charme souvent prenant du résultat final, ces adaptations montrent une passionnante tentative d’assimilation d’un langage aventureux voire expérimental dont bien des tournures durent sembler de prime abord totalement exotiques. La démarche de William Corbett était différente, s’attachant à décrire de l’extérieur plutôt qu’à chercher à saisir intimement la spécificité de tel ou tel idiome ; on chercherait en vain trace d’une quelconque couleur spécifique dans son très italianisant Concerto Alla Portugesa tiré des Bizarrie universali (1728 et 1742) qui révèle en revanche une excellente connaissance des modèles vivaldiens.

 

Mais reprenons la mer et accostons au Portugal. Malgré une poignée de récitals méritoires parmi lesquels se distingue celui du regretté Nicolau de Figueiredo (Passacaille, 2011), le nom de José António Carlos de Seixas n’a guère franchi le cercle des amateurs curieux, ce que l’on ne peut que déplorer compte tenu de l’originalité dont il fait preuve, notamment dans sa manière très libre de traiter le matériau musical. Une partie de sa production a malheureusement disparu en 1755 lors du tremblement de terre de Lisbonne, mais outre des pièces sacrées et des sonates, ce virtuose des claviers mort à trente-huit ans laisse deux concertos pour clavecin dessinant une évolution stylistique sensible. D’une extrême concision (il n’atteint pas six minutes), le Concerto en la majeur est indiscutablement tributaire des modèles vénitiens de l’époque mais révèle des accents plus personnels dans son Adagio central ; d’une dizaine d’années postérieur, le Concerto en sol mineur, riche en contrastes tranchés, adopte un ton résolument dramatique qui fait à de nombreuses reprises songer aux œuvres de jeunesse de Carl Philipp Emanuel Bach ; on notera en particulier le mouvement lent dans lequel le premier violon s’émancipe pour porter la mélodie à la manière d’un soliste d’opéra, ou les rebondissements d’un Finale obstiné qui fait mine de conclure pour repartir de plus belle avant de s’achever enfin, procédé que Joseph Haydn ne dédaignera pas d’utiliser. Quittons à présent les rives du Tage pour celles du Manzanares. L’angélus a sonné aux églises de la ville dont les rues s’animent jusqu’à résonner du tintamarre des manouvriers partis oublier, en chantant et en dansant, la rudesse de leur labeur dans les vapeurs des tavernes pendant que d’autres habitants récitent pieusement leurs prières du soir en égrenant leur rosaire. Mais voici que s’approche le guet afin de marquer l’heure du couvre-feu ; il passe sous nos yeux puis disparaît au loin tandis que le silence retombe sur la cité. Vous avez sans doute reconnu la Musica notturna delle strade di Madrid, un quintette à cordes composé vers 1780 par un autre célèbre Italien ayant fait carrière dans la péninsule ibérique, Luigi Boccherini. Avec ses touches de couleur locale utilisées avec finesse et humour et ses effets d’atmosphère savamment ménagés, cette pièce qui s’inscrit dans la lignée des musiques représentatives chères au XVIIe siècle propose un savoureux voyage dont le pittoresque se situe à mi-chemin de l’évocation musicale et picturale.

 

S’il l’a fréquenté autrefois dans ses anthologies dédiées à Scarlatti (DHM et Teldec) ou aux Variaciones del Fandango español (Teldec, 1999), on ne s’attendait pas spécialement à ce qu’Andreas Staier revienne vers le répertoire ibérique. Il a été bien inspiré de s’y pencher à nouveau, car l’anthologie qu’il propose à la tête de l’Orquestra Barroca Casa de Música offre une heure de musique non seulement d’une délicieuse variété mais présentant également l’intérêt de croiser les regards des compositeurs réellement actifs en Espagne ou Portugal et de ceux dont l’expérience de ces pays a été livresque ou rêvée. Sans araser le moins du monde les particularismes et les coloris, l’approche du claveciniste et chef se signale par une recherche manifeste d’équilibre qui empêche la mise en lumière des effets pittoresques de tomber dans l’anecdote ; les différentes œuvres sont restituées avec soin, sans forcer sur les épices mais avec néanmoins l’alacrité et le piquant indispensables. Andreas Staier a trouvé avec l’Orquestra Barroca Casa de Música un partenaire à sa mesure, dont la souplesse et la réactivité épousent ses intentions avec précision mais aussi liberté, comme le démontrent entre autres les ornementations fleuries et fluides du premier violon Huw Daniel, ce qui laisse à penser que la collaboration autour de ce programme a été une expérience très stimulante pour les deux partenaires. En soliste comme à la direction, Andreas Staier avance avec une idée très claire de ce qu’il souhaite faire entendre et une remarquable capacité à creuser les contrastes et à insuffler de la tension ; il en résulte une réalisation brillante sans superficialité qui s’impose par sa cohérence, sa vitalité et son raffinement et donne très envie de retrouver à l’avenir le tandem qui la porte, pourquoi pas dans les Concerti grossi d’Avison d’après Scarlatti dont il offre un magnifique Cinquième et dont l’intégralité du recueil attend toujours une version indiscutable.

 

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