WUNDERKAMMERN
(10/2018)
(Blog de Jean-Christophe Pucek
qui n'est plus accessible sur la Toile)
Ramée
RAM1806
Code-barres / Barcode : 4250128518062
Analyste: Jean-Christophe Pucek
«By which time, I have done all
that I had in purpose, and returne to my silence.» C’est sur ce salut quelque peu abrupt
qu’Alfonso Ferrabosco Le Jeune achève la dédicace à Henry, comte de Southampton,
de ses Lessons for 1, 2 and 3 Viols publiées à Londres en 1609. Son adresse « Au
monde » qui suit immédiatement dans le recueil insiste, pour sa part, sur la
nécessité morale de reconnaître la paternité de ses œuvres, afin que ne leur
advienne pas la « mésaventure des jeunes enfants souvent condamnés à errer et,
perdant leur demeure, à être séquestrés par des étrangers. » « J’aurais été, »
ajoute-t-il, « un père bien dénaturé si je n’avais corrigé cette impudence et ne
les avais publiquement déclarés miens. » Lorsque l’on sait qu’en 1578 le jeune
garçon, alors âgé d’environ trois ans, fut confié par son musicien de père,
contraint de quitter l’Angleterre d’Élisabeth Ière pour son Italie natale à la
suite d’une disgrâce sur fond de soupçons de sympathie envers la Contre-Réforme,
aux bons soins de Gommaer van Oosterwijk, flûtiste d’origine anversoise membre
du Queen’s Flute Consort, ces mots que l’on pourrait croire de pure convention
prennent une tout autre portée.
«Je retourne à mon silence. » La
biographie d’Alfonso Ferrabosco Junior est, de fait, assez mutique. Enfant
illégitime que ses parents, mariés juste avant leur exil, tentèrent en vain, en
1584, de faire revenir auprès d’eux – la reine en personne s’y opposa sans doute
pour conserver un moyen de pression sur son père –, il est documenté comme
musicien au service de la souveraine en 1592 ; toute sa carrière se déroula dans
l’entourage royal et les honneurs qu’il reçut – Jacques Ier le pensionna en 1604
en qualité de Gentilhomme de la chambre et de précepteur musical de son fils
aîné, Henry, puis, à la mort de celui-ci, du futur Charles Ier qui le nomma
Compositeur de la cour en 1626 – ne l’empêchèrent nullement de connaître des
soucis financiers récurrents jusqu’à sa disparition en mars 1628. Uniques
recueils publiés de son vivant, tous deux en 1609, ses Ayres et ses Lessons ne
constituent qu’une partie de sa production ; il fut en effet également très
actif dans le domaine du masque en collaboration avec le poète Ben Jonson qui,
geste peu courant chez lui, n’hésita pas à chanter ses louanges, ainsi que, bien
évidemment, dans celui du consort. Ses fantaisies à quatre et à six voix,
dépassant leur destinée de musicæ reservatæ, connurent une large diffusion dans
les cercles de connaisseurs et leur influence se fit sentir jusqu’à Henry
Purcell dont les contributions conduisirent le genre jusqu’à une perfection en
forme de point final (Fantasias for viols, 1680). Ferrabosco Le Jeune concevait
visiblement ces pièces que leur nom même semble désigner comme propices aux
envolées de l’imagination comme des morceaux à l’architecture savante mais
limpide et souvent symétrique, s’appuyant sur un dosage très maîtrisé des
augmentations et des diminutions pour leur insuffler relief et animation ; leur
atmosphère est généralement assez méditative sans pour autant être menacée par
un quelconque statisme, le compositeur s’y entendant pour jouer sur des
variations tantôt discrètes, tantôt plus franches, afin d’apporter, sans
toutefois rompre la fluidité de son discours, des contrastes de rythme et de
couleur. Les danses se tiennent sur la même frontière ténue qui sépare le monde
matériel de celui des idées ; si la pulsation et le caractère, ces matières de
tangible humanité, sont immédiatement perceptibles, ils subissent une
décantation qui les éloigne irrémédiablement de la salle de bal. Composés sur le
cantus firmus qui leur donne leur nom, les In Nomine, pour lesquels Ferrabosco
Junior semble avoir relancé un intérêt qui avait quelque peu faibli à la fin du
XVIe siècle, lui offrent l’occasion de faire valoir son inventivité, puisqu’il
fait migrer ce « thème » à toutes les voix alors qu’il était de coutume cantonné
à une seule ; dans le même esprit, le vaste Ut re mi fa sol constitue un tour de
force avec sa progression aventureuse au milieu d’une forêt d’altérations (sept
dièses, sept bémols, un chiffre qui ne doit certainement rien au hasard). À la
fois contemplative, très pensée et riche de surprises ménagées avec art, la
musique de Ferrabosco Le Jeune, dont il convient de rappeler l’intérêt marqué
pour la lyra viol dont le répertoire était à son époque au début de son
éclosion, peut faire songer à l’expérience que vivaient les privilégiés
autorisés à visiter une de ces wunderkammern florissant en Europe dès le XVIe
siècle, une déambulation dirigée et scénographiée où les merveilles du passé et
de la nature mais également celles produites par les plus fines mains
contemporaines se faisaient aliments de rêverie et d’invention.
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