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Classica # 132 (05/2011)
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Ambronay
AMY029



Code-barres / Barcode:
3760135100293 (ID141)

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Appréciation d'ensemble / Overall evaluation :
Analyste: Vincent Borel
 

Voyage d’Agrémens à San Marco

VIVALDI, LARGEMENT CÉLÉBRÉ DANS LE RÉPERTOIRE INSTRUMENTAL ET LYRIQUE, RETROUVE AVEC ALARCÔN SA PLACE AU SERVICE DU DIVIN.

D’abord dubitatif à la réception d’une nouvelle recréation de Vêpres vivaldiennes (une redite des Vespri per l’Assunzione di Maria Vergine, par Alessandrini, chez Naïve?) la première écoute suspend toute hésitation. Les strophes de l’invitatoire s’imposent dans la conque acoustique de l’Abbatiale d’Ambronay. Splendide densité! Puis l’orchestre vient flatter l’auditeur de sonorités puissantes et colorées. S’enchaîne dès lors un parfait florilège de l’art vivaldien, et plus encore de la rhétorique baroque. Pizzicati, glissements de cordes, portamenti: c’est à la fois Pergolèse, Porpora, et Haendel. La reconstruction est habile et généreuse. Les motets solistes (Gloria, Lauda Jerusalem), entrecoupent les grands tableaux du Dixit Dominus, du Confitebor, du Laudate Pueri, du Beatus Vir, couronnés par 1e Magnificat. À nul moment on ne cède à la facilité en glissant du concerto pour faire tapisserie. C’est aussi l’occasion de découvrir la version de Dresde du Dixit (RV 807), extatique et profonde. Et quelle direction! La maîtrise et la générosité d’Alarcon s’imposent. Après un Judas Maccabeus de Haendel paru l’an dernier chez Ambronay et qui depuis ne cesse de nous transporter, ce nouveau Vivaldi, flatté par une prise de son légèrement réverbérée, ne gomme rien des subtilités de l’accompagnement (théorbe et cordes dans Dispersit). Il impose une lecture qui ne choisit pas l’esbroufe de l’accélération systématique si souvent univoque. Sa vision est à l’opposé du très (trop?) exalté Gloria paru chez Naïve. Les tempos sont variés, chaque verset est traité comme un mouvement à part entière où la tension ne retombe pas (époustouflant De torrente in via). Il faut déguster le Beatus Vir aux attaques légères, jamais présenté de la même façon.

Elles nimbent des passages où le temps semble suspendu. Le Choeur de Chambre de Namur tend ses moires vocales que Les Agrémens ensorcellent. Cet orchestre n’a rien de maigre ou de lascif mais dispose d’une palette sans cesse changeante, une prouesse pour un ensemble de seize instruments seulement. Les solistes, notamment Maria Soledad de la Rosa, ont été choisis pour la densité et la couleur de leurs timbres. Ils nous offrent un Vivaldi à la mystique sensuelle.

Ils délaissent la tentation d’un tout — opéra démonstratif — pour ne délivrer que la rutilance des plus belles fêtes catholiques. André Maugars avait bien raison d’écrire qu’en Italie, à ces occasions, « on est assuré d’entendre chaque jour de la composition nouvelle ». Ce superbe petit coffret nous en offre la preuve irrésistible (voir aussi l’entretien ci-dessous).

Vincent Borel

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ENTRETIEN

Leonardo Garcra Alarcôn

Vivaldi à l’église

LE CHEF ARGENTIN BOUSCULE LA DISCOGRAPHIE VIVALDIENNE EN RECRÉANT UN OFFICE DES VÊPRES POUR SAINT-MARC DE VENISE.


Ces Vêpres è Saint Marc ont-elles eu lieu?

Comme Monteverdi a reconstitué des vêpres pour le pape à Rome en 1610, on sait que les musiciens composaient des psaumes et des antiennes destinés à être joués dans des offices de vêpres. Des chroniques de voyageurs témoignent du fait que dans toutes les églises d’Italie (Venise, Rome, Milan, Bologne), on célébrait un office de vêpres presque tous les jours. Il faut donc imaginer dans quelles circonstances ou à quelle occasion cet office se déroulait: fêtes religieuses ou en l’honneur de la Vierge ou d’un saint. J’ai cherché à retrouver ce Vivaldi d’église dans ces Vespro a San Marco en recueillant plusieurs de ses pièces, notamment le Dixit Dominus RV 807 récemment redécouvert et qui lui a été attribué. Vivaldi a mis au moins trois fois ce psaume en musique. Le grand motet avec soli, choeur et orchestre que nous avons retenu pour cet enregistrement est celui conservé à Dresde. On a longtemps pensé qu’il était de Galuppi, qui fut l’auteur de nombreuses pièces dans l’esprit de Vivaldi, mais avec un art du contrepoint plus conservateur.

Pourquoi la musicologie a-t-elle du mal à les distinguer?

En réalité, certains musicologues dénigrent les pièces de Galuppi ou de Gasparini en disant que « c’est sûrement du Vivaldi » et vice-versa! Il y a comme un mépris de cette musique chez des esprits réactionnaires.

Comment doit-on interpréter cette musique?

Vivaldi est encore trop associé à la superficialité. A mon sens, l’erreur est d’aller le plus vite possible, et même parfois avec une brutalité incroyable. Prenez ses concertos, et vous verrez que chacun a été écrit dans un style différent, car destiné à un interprète particulier — la plupart du temps une femme : il avait une relation très forte avec elles. Si le violoniste brillant qu’il était caractérise incontestablement son écriture instrumentale, il ne faut pas oublier pour autant la sensualité qu’il sait donner à la voix. Or, là aussi, on a tendance à vouloir traiter celle-ci comme un instrument, une colorature virtuose.

Existerait-il alors une juste mesure?

Je me souviens d’enregistrements des années 1940, époque où l’on recommençait à jouer Vivaldi avec une conception plutôt lumineuse mais symphonique. Plus récemment, les Italiens ont adopté des tempos de folie, avec une articulation extrême, proche du rock. J’ai souhaité retrouver une vocalité religieuse, sachant que les Vénitiens présents à l’église étaient aussi ceux qui se rendaient à l’opéra et qu’ils chantaient pour eux-mêmes des madrigaux. .. Aujourd’hui, on sépare trop les genres. Qui apprécie Pelléas et Mélisande aura du mal à confier qu’il aime aussi Jacques Brel.., Je ferais également un parallèle avec Bach, qui s’est appliqué à s’essayer à presque tous les genres. Comme Vivaldi, il n’avait pas de préjugé sur la forme. Personnellement, ce Vivaldi me manquait. Le monde qu’il côtoyait au quotidien se réunissait également à l’église. C’est formidable de retrouver aujourd’hui l’homme de théâtre qu’il était, mais l’homme d’église est tout aussi captivant...

Propos recueillis par Franck Mallet

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