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Diapason # 589 (02/2011)
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Cyprès 1661

Appréciation d'ensemble:
Analyste: Philippe Ramin
 

Savoir aimer les concertos pour clavier de Bach, c’est aussi les replacer dans l’agitation conviviale qui les a vus naître au Café Zimmermann. Dans cet espace limité, l’idée d’un clavecin concertant (sans doute le Thomaskantor) avec un petit ensemble de cordes (les étudiants du Collegium Musicum) était un coup de génie. Si l’Histoire de la musique a conduit le concerto pour clavier vers davantage d’expansion sonore et des joutes autrement dramatiques, il n’en reste pas moins que ces brillants ancêtres ont tout à gagner à cette intimité paradoxale — en ce qu’elle autorise tous les contrastes et permet à chacun de jouer, s’il le veut, à plein régime sans menacer les autres.

Le premier allegro du Concerto en ré mineur est ainsi porté d’un grand geste forte, qui accumule une tension spectaculaire en lâchant un minimum de lest quand l’organisation du discours le demande. C’est impressionnant, osé, grisant. Périlleux, aussi. Car si cet effectif facilite les équilibres, il expose en pleine lumière le fossé qui sépare la projection des archets et celle des cordes pincées. Les Folies Françoises le franchissent allègrement, pour se couler dans les moindres intentions de Béatrice Martin. On peut jouir à la fois de sa franche subtilité (et quel toucher!) et des réparties toujours changeantes des cordes — leur relative uniformité de timbre servant finalement le projet. Dans les mouvements conclusifs des Concertos en la et en mi, l’abondance de détails, la variété des éclairages suivant les modulations frappent davantage que dans toute autre version. Saluons aussi la prestation du contrebassiste Thomas de Pierrefeu, qui donne une assise exceptionnelle à l’ensemble.

Deux superbes clavecins ne sont par pour rien dans cette réussite : le « petit » Zeil de 1734 (un seul clavier, tessiture restreinte, d’où divers arrangements) dans les Fa mineur et La majeur, auxquels il offre à la fois un cantabile délicat et une projection dynamique pleine d’autorité; et dans les deux autres concertos une copie du grand Zeil de Hambourg, l’un des plus beaux fruits de la facture allemande au temps de Bach. Que dire de Béatrice Martin sinon que l’on se réjouit de l’entendre enfin au disque en soliste.., douze ans déjà après sa victoire à Bruges! La demi-réussite des sonates pour violon et clavier enregistrées avec Patrick Cohên-Akenine (Fontmorigny, 2008) n’avait pas levé le voile sur cette personnalité musicale impérieuse — mais idéalement complice quand elle porte les chanteurs au sein des Arts Florissants. C’est chose faite, et avec quel panache!


 

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