WUNDERKAMMERN
(11/2017)
(Blog de Jean-Christophe Pucek
qui n'est plus accessible sur la Toile)
Linn
CKD571
Code-barres / Barcode :
691062057127
Analyste: Jean-Christophe Pucek
Le répertoire pour consort de violes
composé en Angleterre au cours des XVIe et XVIIe siècles est tellement vaste
qu’il permet aux interprètes d’aujourd’hui de varier les plaisirs en proposant à
l’auditeur de passer de zones bien éclairées à d’autres plus obscures. Ainsi
Phantasm, après nous avoir offert un moment magnifique en compagnie de la douce
mélancolie des larmes de John Dowland, nous fait-il aujourd’hui remonter le fil
du temps de quelques décennies à la rencontre d’un musicien nettement moins
choyé, voire quelque peu malmené par la postérité, Christopher Tye.
« Grincheux et capricieux,
particulièrement en ses vieux jours » nous confie le chroniqueur Anthony Wood à
propos de notre homme, ajoutant une anecdote qui voudrait que durant un office
auquel assistait Elizabeth Ière et où il tenait l’orgue, il aurait renvoyé
auprès de la souveraine le bedeau qu’elle avait chargé de lui transmettre qu’il
jouait faux, en maugréant que c’était ses royales oreilles qui entendaient de
travers. La parabole de l’artiste ayant accès à des sphères inaccessibles y
compris aux puissants est un peu trop belle pour ne pas sembler arrangée, mais
au moins souligne-t-elle le caractère peu malléable voire mordant de Tye ;
l’auteur y ajoute cependant une remarque non dénuée d’intérêt sur l’art de ce
dernier qui dispensait « beaucoup de musique mais peu de plaisir pour l’oreille
» : nous voici donc visiblement en présence d’un compositeur qui avait réussi à
se ménager dans la société de son temps une place sinon prestigieuse du moins
confortable grâce à une parfaite connaissance de son métier mais assez peu
préoccupé par l’adhésion des auditeurs à son esthétique. Son existence est
entourée d’un certain flou ; on ignore tout de lui avant qu’il devienne
bachelier en musique à Cambridge en 1536 — on le suppose originaire de cette
ville ou de sa région et né aux alentours de 1505. Lay clerk (chantre
professionnel non ordonné) au King’s College l’année suivante, il quitta cet
emploi au plus tard à l’automne 1539 pour se retrouver maître des choristes de
la cathédrale d’Ely en 1543 (sans doute était-il déjà en poste depuis quelque
temps avant cette date attestée). La carrière du musicien, fait docteur en son
art en 1545, fut dès lors étroitement liée à celle de Richard Cox, archidiacre
d’Ely en 1541 et chancelier de l’université d’Oxford en 1547, qui avait pu
côtoyer Tye à Cambridge où il était entré en tant qu’étudiant en 1519. Introduit
à la cour où son protecteur était tuteur du futur Édouard VI, il dédia à ce
dernier sa version métrique des Actes des Apôtres ; même si les registres de la
Chapelle royale n’en font pas mention, il semble bien que Tye ait été attaché à
cette institution durant la majeure partie de la décennie 1550 puis qu’il soit
rentré à Ely à la fin de cette période. Ordonné diacre puis prêtre en 1560, il
rejoignit l’année suivante la riche paroisse de Doddington-cum-Marche, où il
semble avoir impressionné plus pour ses dons musicaux que pour ses talents de
prédicateur et où il mourut entre le 27 août 1571 et le 15 mars 1573, date à
laquelle son successeur fut nommé.
Compositeur reconnu de musique sacrée
dont la disparition de toute la production pour clavier nous empêche hélas
d’appréhender les capacités dans leur globalité, Tye saisit néanmoins
l’opportunité que lui offre la formation du consort, alors encore dans sa prime
jeunesse, pour déployer une originalité qui confine parfois à l’excentricité.
Des trente-et-une pièces majoritairement à cinq voix que nous conservons de lui,
vingt-trois sont des In nomine, une élaboration polyphonique spécifiquement
britannique fondée sur un court fragment du Benedictus, mettant en musique les
mots « In nomine Domini », de la messe Gloria tibi Trinitas de John Taverner
datant de la fin des années 1520, un genre dont la tradition se maintint durant
au moins cent-cinquante ans, jusqu’à Purcell. Tye utilise ce matériau avec la
plus grande liberté, en faisant se mouvoir à des tempos différents le cantus
firmus et les autres parties, en les amenant à se percuter ou à s’entremêler, le
tout bien sûr le plus abruptement possible pour surprendre l’interprète et
l’auditeur. Avec une très insulaire ironie, il ajoute à ces compositions
singulières des sous-titres facétieux et impératifs tels de rassurants « Beleve
me » (Croyez-moi) ou « Follow me » (Suivez-moi) et d’impayables « Seldome sene »
(Jamais vu) ou « Free from all » et « Howld fast » que je suis tenté de traduire
respectivement par « En roue libre » et « Accrochez-vous. » Ses autres pièces
faisant appel à des mélodies religieuses (les quatre Dum transisset Sabbatum,
ainsi que Christi resurgens et O lux beata Trinitas) sont en comparaison
nettement moins irrégulières et on peut supposer qu’elles ont pu jouer un rôle
fonctionnel durant certains offices. Il faut signaler pour finir cette brève
présentation – je renvoie le lecteur à la très complète et instructive notice
signée par Laurence Dreyfus – l’extraordinaire Sit fast, une fantaisie sur
ostinati en deux parties que son caractère imprévisible, quelquefois
insaisissable et vaporeux, et ses répétitions hypnotiques auraient fait taxer à
d’autres moments de l’histoire musicale de psychédélique.
Phantasm n’est pas
le premier consort à graver l’intégralité de la musique composée par Tye pour
cette formation, puisque Jordi Savall et Hespèrion XX avaient déjà tenté
l’aventure en 1988 pour Astrée. Lorsque l’on compare cet enregistrement déjà
ancien, au demeurant excellent et n’ayant pas pris une ride, avec le nouveau
venu, ce qui frappe immédiatement est l’absence, dans ce dernier, des lenteurs
affectant parfois son prédécesseur ; Laurence Dreyfus et ses amis privilégient
en effet un ton plus direct et une fluidité plus allante sans pour autant
presser excessivement le pas ou demeurer à la surface des œuvres. Le parfait
contrôle de la pulsation et la tenue exemplaire de la polyphonie assurent à
l’ensemble une fondation équilibrée et cohérente propre à lui permettre
d’insuffler à la musique une dramatisation extrêmement subtile venant sans cesse
titiller l’oreille et soutenir l’intérêt ; le programme, intelligemment
organisé, peut ainsi s’écouter d’une seule traite – c’est d’ailleurs fortement
recommandé – sans jamais rencontrer de baisse de tension, ce qui n’était pas
toujours le cas de celui d’Hespèrion XX, d’une beauté parfois un rien trop
hiératique. Il y a, dans l’approche de Phantasm, une recherche d’ampleur ainsi
qu’un jeu très raffiné sur l’alternance entre proximité chaleureuse et
distanciation cérébrale tout à fait séduisants qui non seulement rendent justice
à l’inventivité d’aventure un peu folle de Tye mais offrent également un écho
très convaincant de la personnalité à la fois défiante, un brin arrogante dans
la conscience de son originalité tout en étant soucieuse de plaire qui semble
avoir été la sienne. Superbement capté par Philip Hobbs – tous les consorts
n’ont malheureusement pas la chance de travailler avec un ingénieur du son aussi
précis –, ce disque de Phantasm est un nouveau joyau qui, à n’en pas douter,
fera le bonheur de tous les amateurs de musique anglaise et pour viole de gambe.
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