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Diapason # 621 (02/2014)
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Appréciation d'ensemble:

Analyste:  Gaëtan Naulleau

Cédric Pescia, qui ne nous avait pas convaincu dans des Variations Goldberg subtilement jouées et pensées mais trop lisses (son premier disque, il y a dix ans), nous tient en haleine dans l’autre monument cyclique de Bach. Un labyrinthe où d’ailleurs, les pianistes s’aventurent de plus en plus souvent. Souvent ? Disons : de moins en moins rarement, alors que tous seraient bien inspirés de s’y mesurer et d’y faire fructifier les ressources d’un jeu polyphonique qui était encore pour Schumann, Chopin ou Brahms un socle naturel de l’expression pianistique.

Le Contrepoint I se déploie avec retenue, à travers un équilibre des voix impeccable et un phrasé galbé. Cette entrée en matière étirée laisse craindre une vision trop contemplative, abstraite et unifiée du cahier - il faut avoir le charisme de Nikolaïeva (Hyperion) pour assumer cela sans laisser l’auditeur au bord de la route. Pescia nous rassure vite. Au fil des cinq premières fugues, il révèle un cheminement nettement balisé et articulé, parfois d’ailleurs au prix d’une alternance lent-vif artificielle : pourquoi un tel saut de caractère et de tempo entre le premier contrepoint et le suivant, qui en est la simple déclinaison ? On admire pourtant dans ce Contrepoint II le rebond agile et profond, sans la moindre nervosité, des rythmes pointés. Cédric Pescia tire pleinement parti d’un instrument exceptionnel : un Steinway de 1901, à la fois clair et chaleureux, joliment trompettant dans le forte, toujours prompt à « parler » .

Les quatre canons sont soigneusement éparpillés. Celui à l’octave glisse un contraste entre les Contrepoints IV et V, celui à la douzième vient prolonger les tensions extrêmes du Contrepoint XI ( où l’on pourrait entendre un jeu encore plus débridé, comme celui d’Aimard), et le casse-tête per augmentationem in contrario motu arrive in extremis, juste avant l’ultime fugue : tous deux progressent à pas de loup (10’ 02” l’un, 11’ 32” la fugue, des records), à tel point que nous avons vite perdu le fil de cette polyphonie pointilliste sous l’effet de la lenteur. La suivre jusqu’au bout vous vaudra un redoutable exercice de concentration. Pescia, au terme de la fugue inachevée, préfère à la rupture glaçante un decrescendo flouté, un amenuisement.

Il a tenté avec son accordeur une expérience rare : au lieu de l’habituel tempérament égal, ils se sont inspirés des pratiques du temps de Bach, en cherchant un accord qui donnerait plus de relief à ces vingt numéros gravitant obstinément autour de ré mineur. Sans copier un instrument ancien, ils ont opté notamment pour des do dièse très bas et des fa très hauts : il s’agit moins d’accentuer les chromatismes que de donner un poids et une résonance particuliers à certains accords centraux (à travers des tierces presque pures la-do dièse et fa-la). Effet séduisant, mais dont on devine la contrepartie dans les passages forte, où la trame polyphonique s’opacifie sous cette résonance. On se demande, somme toute, si le piano se prête à ce traitement naturel au clavecin. Disque en tout cas impressionnant, personne1, assumé.

 

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