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Diapason # 638 (09/2015)
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DHM 88875055982



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Analyste: Jean‑Philippe Grosperrin

Le nom d’Agrippina désigne un animal d'opéra (baroque) à trois têtes: l'épouse divorcée de Tibère (Agrippina de Sammartini, 1743), sa soeur héroïque, unie au grand Germanicus (on l'entend dans le premier opéra de Porpora en 1708 ou chez Telemann peu après), et enfin la mère de Néron, plus prisée au théâtre, du Nerone de Perti (1692) au fameux Britannico de Graun, d'après Racine (1742). Fascinée par l’Agrippina du jeune Handel (elle a tenu le rôle‑titre à la scène), Ann Hallenberg ouvre ici un éventail plus large, fécond en inédits et précieux en conséquence, avec le concours d'un ensemble inégal en cohésion ou en drame.

 

Après le récital mémorable d’Anna Bonitatibus autour de Sémiramis (cf no 627), le portrait musical d'un personnage taillé pour la légende va t‑il concurrencer les hommages aux grands chanteurs du passé ? L'écueil est double, que le présent disque peine à éviter. Car que nous dit exactement d’Agrippine un air métaphorique de tempête (Sammartini) analogue à vingt autres au royaume stylisé de l'opera seria ? Surtout, pour un personnage de femme forte, faut‑il une fois de plus se borner à des airs, au mépris du récitatif, du dialogue, qui n'en forgent pas moins la figure dramatique ? On est ainsi bien frustré de ne saisir de l'héroïne de Legrenzi (Germanico sul Reno, 1676) qu'un fragment d'une minute et demie... mais l'air torrentiel de Graun, couronnement de l'acte Il de Britannico et pur chef‑d'oeuvre, aurait gagné à la présence de son récitatif où, comme chez Racine, la mère de Néron menace de retirer son appui au fils chéri pour devenir sa prédatrice politique.

 

Cet air justement, Ann Hallenberg le chante avec aisance et panache, de sa belle voix chaleureuse et homogène, toujours musicale, tenue, indemne d'hystérie. On admire les vertus de la cantatrice, mais est‑ce suffisant? Ici, comme dans la tentative d'apitoyer Néron (« Se la mia vita, o figlio »), la figure dangereuse, ambiguë, qu'est par excellence Agrippine la Jeune s'estompe et se lisse. Rien d'inquiétant ni d'obscur dans ce chant si sain, si étranger aux poisons, expressif pourtant. Difficile de mieux exécuter les trois airs de Handel, mais une Lorraine Hunt (« Arias for Durastanti », HM) y captivait par des suggestions imprévisibles, par son sens visionnaire de l'espace: avec elle, « Pensieri » se faisait en effet descente dans une grande âme tortueuse.

 

Si l'air bizarre de Mattheson à Hambourg voit ses angles arrondis, la ligne élégiaque va notablement mieux à la cantatrice (« Rimembranza crudel » de Telemann, grande musique). Même là néanmoins, comme dans les airs de Porpora, il faudrait un autre poids à certains mots, des insinuations, des aspérités, des ombres, plus de clair‑obscur en somme, pour que la face changeante d'Agrippine nous regarde.

 

 

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