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Classique News (10/2007)
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Alia Vox
AVSA 9854




Code-barres/Barcode: 7619986398549

 

 

Critique: Guillaume-Hugues Fernay

 

Par son indéfectible allant, ses qualités d'éloquence et la superbe sonorité du Concert des nations, l'album mérite le meilleur accueil.

Parmi les amateurs et commanditaires espagnols qui sollicitèrent Haydn, alors reclus dans le palais des princes Esterhazy, bon nombres de princes et de personnalités prestigieuses dont la Chapelle royale de Charles IV, ou les Benavente-Osuna...  Même le Chevalier de Saint-Georges commanda pour le Concert de la Loge maçonnique à Paris, en 1784-1785, les 6 Symphonies désormais appelées "Parisiennes". A Cadix, plaque tournante de l'or en provenance du Nouveau Monde, le chanoine José Saenz de Santamaria écrit au musicien d'Esterhaza (par le biais d'un intermédiaire, Francesco Micon) afin qu'il lui compose sept pièces instrumentales sur le thème des Sept Paroles du Christ. Les pièces seront interprétées pour la Confrérie Hermandad de la Santa Cueva, chaque Vendredi Saint. José Saenz était l'héritier d'une fortune venant de son père (1785). En tant que "Marquis de Valde-Inigo", il put payer des artistes de renom, comme Goya afin de décorer les autels de la Chapelle de la Confrérie (Hermandad).
Véritable oratorio sans paroles, il s'agissait selon les voeux du commanditaire d'écrire sept morceaux de caractère solennel. Tout fut livré dans une version orchestrale pour le mois d'avril 1787. Le succès fut tel que la même année le marché viennois recevait aussi deux versions réduites: l'une pour quatuor à cordes, la seconde pour clavier afin que l'oeuvre puisse être jouée dans les salons privés des amateurs. Par la suite, Haydn autorisa la publication en 1801, d'une nouvelle version oratorio, avec choeur et solistes mais remodelée par ses soins.

Jordi Savall respecte la volonté d'approfondissement méditative qui sous-tend l'élaboration et la fonction finale du cycle. Les sept "tableaux sonores" sont introduits par une introduction et un finale, le fameux Terremoto, déflagration libératrice de tout ce qui a précédé, et expression de la grandeur divine, qui est un coup de tonnerre devant s'accomplir presto con tutta la forza. Chaque section, jouée après le sermon qui commente chaque parole du Christ sur le croix, doit susciter réflexion et compréhension profonde du sujet. L'option esthétique du chef catalan résout d'emblée l'universalité d'un testament spirituel et philosophique, entre classicisme, hérité de l'esprit des Lumières et romantisme. En jouant sur la transparence et l'équilibre des pupitres, le relief des couleurs, bois, cuivres, cordes et percussions, la précision des accents, la légèreté (Sonata VII. Largo), Le Concert des Nations obtient une sonorité saisissante par son acuité expressive et sa grande douceur. C'est un orchestre mozartien idéal, où chaque mélodie tenue par l'un des solistes de l'orchestre s'écoute parfaitement. La direction détaille sans se perdre, fait entendre chaque respiration car il s'agit bien d'une solennité méditative. Le dramatisme n'en est pas exempt cependant, et le Terremoto final fait immanquablement penser à la frappante apparition du Commandeur de Don Giovanni.  C'est un moment de délivrance et de vérité qui se réalise. Remarquables solos du violon de Manfredo Kraemer, dramatisme mesuré (ciselure de la Sonata V. Adagio, entre murmure et vagues aigres), se déroulant telle une vaste marche d'introspection et de recueillement, tout le polyptique est vécu intensément, et prépare à la libération finale: le constat de la Résurrection du Christ se déversant tel un torrent saisissant, Terremoto donc , tremblement de terre, qui frappe la terre et fait entendre le vacarme avec lequel le fils de Dieu "remet son esprit".

L'approfondissement qu'y apporte Jordi Savall se double outre d'un accomplissement esthétique indiscutable, d'une recherche de sens, dans le respect du message du compositeur sur les Paroles du Christ sur la croix. Ce scrupule a même conduit le musicien a enregistré dans le lieu de la création de la partition, l'église Santa Cueva de Cadix. Dès lors, le chef réintègre la citation des paroles elles-mêmes (prononcées en latin par Francisco Rojas), entre chaque morceau, mais en déposant les commentaires (qui étaient exposés à l'origine, dans la continuité) dans le livret sous la plume de Raimon Panikar et de José Saramago (Prix Nobel de littérature 1998, auteur de L'Evangile selon Jésus-Christ, Seuil, 1993). La qualité des réflexions ainsi recueillies ouvrent de nouvelles perspectives et comblera tout auditeur soucieux d'intensifier son écoute ou de comprendre le sens des paroles du Sauveur. La présente réalisation dépasse une simple expérience esthétique: il s'agit aussi de saisir le sens du Sacrifice et l'espérance qui en découle pour l'avenir de l'humanité. Chacun recevra ce superbe témoignage selon sa part et son exigence de mysticisme. Quoiqu'il en soit, par son indéfectible allant, ses qualités d'éloquence et la superbe sonorité du Concert des nations, l'album mérite le meilleur accueil.

 

 

  

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