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Classica # 148 (11/2012-01/2013)
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Virgin
6026542



Code-barres / Barcode: 5099960265425 (ID260)

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Appréciation d'ensemble / Overall evaluation :
Analyste: Sylvain Fort
 

La voix de Joyce DiDonato joue sur l’indéfinissable frontière entre musique et verbe.

Joyce DiDonato fait à elle seule l’actualité lyrique baroque de ce mois, confirmant ainsi notre choix de la désigner comme « Artiste de l’année » dans nos pages consacrées aux « Chocs de l’année 2012» (voirp.72).

La voici tout d’abord dans un de ces récitals d’airs italiens des XVIIe et XVIIIe siècles qui semblent devenus la recette magique du succès pour les mezzos actuelles. Bartoli avec Agostino Steffani, Barcellona avec Pergolesi, von Otter avec Cavalli ou Provenzale, pour ne prendre que les exemples les plus récents, semblent frayer les mêmes voies. Mais gare aux illusions d’optique. Tous ces disques nous apprennent à différencier progressivement les individualités, les esthétiques et les techniques, où pendant longtemps on ne vit qu’écoles et grands courants. Joyce DiDonato apporte sa pierre à l’édifice. Elle dessine sous nos yeux (et nos oreilles) la carte de quelques décennies d’opéra en Europe, faisant halte aux étapes obligées et ajoutant les excursions moins fréquentées. Par rapport à ses illustres consoeurs, ce sont encore d’autres sentiers et d’autrés filons que DiDonato nous invite à emprunter. Toutefois, ce n’est pas d’histoire de l’art seulement qu’il s’agit. Il est question aussi d’interprétation. Et là, DiDonato marque encore sa singularité. Où d’autres mezzos démontrent (voire étalent) une virtuosité étourdissante centrée sur un timbre cherchant avant tout les colorations les plus vives, DiDonato adopte une école toute classique. Chez elle, la ligne et la longueur du souffle prévalent. Qu’on écoute le « Lasciami piangere » de Keiser pour s’en convaincre. Cet air pourrait donner lieu à des soufflets et à des appoggiatures: DiDonato cultive le spianato, l’étirement de la phrase qui prend le temps d’épanouir son cantabile. C’est merveilleux. De même, dans « Morte col fiero aspetto » de Hasse, ce qui compte, c’est l’accent, la caractérisation ; la voix cherche moins à faire valoir sa pulpe qu’à scander la parole. En choisissant d’interpréter un air de l’Orontea de Cesti et dans Le Couronnement de Poppée de Monteverdi DiDonato montre qu’elle nourrit sa conception de la déclamation baroque dans la tradition du parlar cantando, et que les surajouts virtuoses ne sauraient dissiper ce patrimoine premier. Étonnante la continuité qui se lit entre ces pages fondatrices et la vocalité haendélienne telle que DiDonato la prend en charge — aucune extraversion inutile, mais une maîtrise supérieure, qui se joue des escarpements pour atteindre au coeur du sens théâtral. Une telle maturité vocale et musicale se salue, surtout lorsqu’elle ose renoncer à mille facilités possibles. De ce point de vue le « Sposa son disprezzata », dans son original de Giacomelli, est peut-être le plus bel exemple de ce que veut dire bel canto, non dans son sens proto-romantique, mais bel et bien classique : un chant où la tenue est tout, où la voix sait jouer sur l’indéfinissable frontière entre musique et verbe, où semble exigé quelque chose comme un « port de tête ».  
 

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